Les Américains enterrés à Paris |
« Les bons américains, quand ils meurent, vont à Paris ». C'est ce que déclare Oscar Wilde dans sa pièce A Woman of No Importance, et non sans raison. Paris, destination typique pour les américains de leur vivant, a longtemps constitué la dernière demeure des américains de tous types. À côté de leurs compagnons français, on trouve dans les cimetières parisiens des artistes, écrivains, hommes d'état, stars du rock et même des réfugiés. |
The American Library in Paris | Alexandra Schwartz, Traduction de Laurence Moachon |
L'un des premiers et très célèbre américain à être entré au Père Lachaise, le plus grand cimetière de Paris, a été Judah Philip Benjamin (1811-1884). « Le cerveau de la Confédération » acquit sa renommée comme avocat et fut élu sénateur de Louisiane en 1852. Il prit parti pour la Confederate States of America qui venait de se créer, à la suite de la sécession de la Louisiane d'avec l'union, et en devint le premier ministre de justice et ministre de guerre puis, plus tard, ministre des affaires étrangères. La rumeur courut que Benjamin aurait fomenté l'assassinat d'Abraham Lincoln. Il s'enfuit en Angleterre immédiatement après la guerre civile où il commença une deuxième carrière réussie comme avocat. Il mourut et fut enterré à Paris, en exil pour l'éternité. Sa tombe resta anonyme jusqu'en 1938, date à laquelle le chapitre parisien des Filles de la Confédération lui procura une pierre tombale. Comme Benjamin, le titulaire de la tombe la plus visitée du Père Lachaise vint à Paris non pas tant pour y vivre que pour y mourir. Jim Morrison (1943-1971) arriva à Paris en mars 1971 et y fit son dernier enregistrement en studio avant de succomber à une overdose au début juillet. Sa tombe qui porte l'inscription en grec KATA TON AIMONA EAYTOY (« fidèle à lui-même ») est devenue à la fois un haut lieu de pèlerinage pour ses fans, et de vandalisme. Bien que les familles des défunts enterrés à proximité aient demandé à ce que la dépouille de Morrison soit enlevée à l'expiration de la concession trentenaire, les autorités de Paris ont décidé jusqu'ici de laisser Morrison là où il est. Les connexions de Benjamin et de Morrison avec la France étaient bien plus faibles que celles des autres américains enterrés au Père Lachaise, dont bon nombre ont été au cœur de la vie et de la culture parisiennes à leur époque. Victor Séjour (1817-1874), dont la nouvelle « Le mulâtre » est considérée comme la première œuvre de fiction publiée par un auteur africain-américain, naquit libre en Louisiane et émigra à Paris à l'âge de 19 ans où il écrivit des pièces de théâtre avant de perdre les faveurs de son public et de mourir dans la pauvreté. Isadora Duncan (1877-1927) vint à Paris en 1899 pour tenter sa chance comme danseuse après son échec à New York avec ses techniques modernes reposant sur l'improvisation. L'école d'avant garde qu'elle fonda rue Danton la rendit rapidement célèbre, jetant les bases de sa notoriété en tant que mère de la danse moderne. Quand elle mourut dans un abominable accident de voiture à Nice à l'âge de 50 ans, ses cendres rejoignirent celles de ses enfants dans le columbarium du Père Lachaise. Stuart Merrill (1863-1915), poète au centre du mouvement symboliste, était âgé de trois ans lorsque son père obtint un poste de diplomate à Paris. Le déménagement de la famille de New York se révéla bénéfique: Stuart y eu la chance extraordinaire d'étudier avec le symboliste Stéphane Mallarmé, qui gagnait sa vie en enseignant l'anglais et devint le mentor et ami de Merrill. Bien qu'il dût retourner aux Etats-Unis d'Amérique pour étudier le droit suivant les ordres de son père, Merrill commença à publier des livres de ses poèmes français de Paris et revint en Europe en 1890. Influent dans les milieux littéraires des deux pays, il aida la France à se familiariser avec Yeats et l'Amérique avec Mallarmé et Verlaine. Pendant plus de quarante ans, les appartements rive gauche de Gertrude Stein, au 27 rue de Fleurus et au 5 rue Christine, furent l'épicentre des intellectuels expatriés de Paris. Elle y reçut Matisse, Picasso, Hemingway, Pound et nombre d'autres dans son salon le samedi et collectionna et exposa les œuvres majeures des artistes contemporains et cubistes. Bien que née à San Francisco, Gertrude Stein (1874-1946) quitta rarement sa ville d'adoption. Elle partage sa modeste tombe de marbre au Père Lachaise avec Alice B. Toklas (1877-1967), sa muse et compagne de toute sa vie dont le nom a été gravé à l'arrière de la pierre tombale de Gertrude Stein. Les cailloux que les visiteurs y déposent fréquemment sont le reflet de la coutume juive qui consiste à marquer le respect aux défunts en laissant des pierres sur les tombes en marque de souvenir durable. Plus récemment Richard Wright (1908-1960), l'auteur de Native Son et de Black Boy, et résident de Paris pendant treize ans, fut incinéré au Père Lachaise et ses cendres conservées dans le columbarium. William Gardner Smith (1927-1974), contemporain de Wright et également écrivain expatrié africain-américain, fut aussi incinéré au cimetière. Ses cendres furent retirées du columbarium en 1983, lorsque sa famille manqua de renouveler sa concession, et dispersées dans le Jardin du Souvenir, un emplacement dans le cimetière réservé à cette fin. De l'autre côté de la Seine, le photographe Man Ray (1890-1976) se trouve au cimetière Montparnasse, dans le même quartier qui fut le sien pendant une grande partie de sa vie. L'épitaphe de Ray est libellée comme suit : « non concerné mais pas indifférent». Sa femme, Juliet Browner, fut enterrée dans la même tombe en 1991. L'actrice Jean Seberg (1938-1979), emblématique « américaine à Paris » du cinéma nouvelle vague, se trouve aussi à Montparnasse, de même que la romancière, critique et philosophe Susan Sontag (1933-2004). Bien que née et morte à New York, l’attachement de Sontag à Paris débuta en 1957 alors qu'elle étudiait à l'université de Paris et continua de plus belle toute sa vie durant. En 1999, le gouvernement français l'éleva au rang de Commandeur de l'Ordre des Arts et des Lettres.
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