Shakespeare & Company |
Shakespeare & Company, librairie légendaire du quartier latin, vit le jour en 1919, à l’initiative de l’écrivain Sylvia Beach et connut, à partir de 1952, une seconde vie sous l’égide de George Whitman. |
The Arts Arena | Harriet Lye. Traduit de l'américain par Marie Belorget |
Les deux librairies eurent une longue histoire en tant que lieux d’accueil et d’encouragement pour les auteurs débutants comme pour les écrivains confirmés. Elles devinrent des institutions à part entière, mondialement renommées. Beach et Whitman eurent l’un et l’autre des rôles déterminants dans la diffusion de la littérature anglophone en France et la création d’environnements propices à l’émergence et à l’inspiration des écrivains.
Sylvia Beach naquit en 1887, dans le Maryland. Elle découvrit Paris en 1901, son père y ayant été nommé, pour trois ans, ministre adjoint de l’Eglise Américaine et directeur de l’Américan Student Center. Après le retour définitif de la famille aux Etats-Unis, Sylvia, profondément éprise du mode de vie parisien, fit de fréquents séjours dans la capitale française et, vers la fin de la première guerre mondiale, elle vint y étudier la littérature. Beach connut alors la librairie d’Adrienne Monnier, la Maison des Amis du Livre, située rue de l’Odéon, qui fonctionnait aussi comme une bibliothèque de prêt. Elle y fut chaleureusement accueillie par la propriétaire qui proclama : « J’adore les américains ! ». La Maison des Amis du Livre organisait des lectures avec des écrivains considérés comme la fleur des auteurs contemporains tels qu’André Gide ou Paul Valéry. Ils passaient beaucoup de temps à la librairie et entretenaient une vive amitié avec Monnier. Inspirée par cette sorte de centre culturel improvisé, Beach envisagea de monter sa propre librairie à New York, pour faire connaître la littérature contemporaine française aux lecteurs américains. En fin de compte, elle créa à l'inverse une institution qui permit de diffuser la littérature anglophone contemporaine en France et l’installa à Paris, en face de celle d’Adrienne Monnier. Shakespeare & Company ouvrit ses portes en 1919, attirant immédiatement les lecteurs français et américains, ainsi que de nombreux écrivains en herbe auxquels Beach offrit l’hospitalité, prodigua ses encouragements et céda des livres de sa collection personnelle. La guerre finie, nombre d’auteurs anglophones s'étaient établis à Paris. Certains d’entre eux formèrent un groupe connu sous le nom de « Lost Generation ». Il comprenait James Joyce, Ezra Pound, F. Scott Fitzgerald, Gertrude Stein, T.S Eliot, Thorton Wilder, Man Ray et Ernest Hemingway; qui, de l'avis général, était le meilleur "client" de la librairie. On doit à Shakespeare & Company la publication de Ulysses de James Joyce en 1922. Le livre avait été interdit aux Etats-Unis et au Royaume Uni en raison de ce que Beach admit être un contenu « puissant », « choquant », et « obscène ». Bien qu’elle fût elle-même au bord de la faillite, elle le publia pour soutenir un écrivain qu’elle admirait et un ami auquel elle tenait. Sa décision n’était pas seulement liée aux qualités littéraires de l’œuvre, mais également au respect qu’elle portait à l’homme : « Les être humains étaient plus importants pour moi que les œuvres d’art », écrivit-elle à ce sujet dans son livre Shakespeare & Company. L’entreprise connut de sérieuses difficultés lors de la Grande Dépression et parvint à se maintenir à flots grâce à la générosité de ses amis. En 1936, Beach crut qu’elle allait devoir fermer, mais un groupe de soutien, « Les amis de Shakespeare & Company », s’organisa sous la houlette de Gide : les adhérents étaient invités à verser deux cents francs par an pour financer les activités littéraires. C’est ainsi que la librairie fut sauvée. Le renom des auteurs français et américains qui participèrent aux lectures lui attira une attention considérable, et au bout de deux ans, « l’aura acquise par la librairie, grâce à tous ces écrivains célèbres et à la publicité dont nous faisions l’objet, devint telle que nous commençâmes à faire des affaires. » Shakespeare & Company survécut à la chute de Paris et se maintint jusqu’à la fin de l’année 1941, lorsque Sylvia Beach fut contrainte à fermer boutique. Internée pendant six mois, elle avait caché ses livres dans un appartement vide au dessus du 12, rue de l’Odéon. Certains de ces ouvrages font aujourd’hui partie de la collection de George Whitman. On peut les lire – non les emprunter -, au deuxième étage du Shakespeare & Company qui se tient maintenant en face de Notre-Dame, 37, rue de la Bûcherie. Natif de Salem, dans le Massachusetts, George Whitman fut, lui aussi, un américain à Paris. Il y resta après la seconde guerre mondiale et s’inscrivit aux cours de français de la Sorbonne. Pendant ses études, il se constitua une vaste collection de livres en anglais et transforma sa petite chambre en bibliothèque informelle : il prêtait des livres à des amis ou à des étrangers et en troquait d’anciens contre de nouveaux. Lawrence Ferlinghetti, un ami proche, lui suggéra de monter sa propre librairie. C’est ce qu’il fit en 1951. Il acheta un petit appartement juste en face de Notre-Dame et le convertit en librairie, avec la fameuse devanture que nous pouvons encore voir. D’abord nommée Le Mistral, la librairie fut rebaptisée Shakespeare & Company après la mort de Sylvia Beach. Si cette dernière avait eu la « Lost Generation », Whitman eut la « Beat Generation » : Henri Miller, Anaïs Nin, Lawrence Durrell, Alan Ginsberg, William S. Burroughs et Jack Kerouac trouvèrent le gîte et l’amitié au sein de cette seconde institution. Whitman élabora sa librairie sur les principes d’hospitalité de Sylvia Beach : il hébergeait de jeunes écrivains, et sa fille, Sylvia B. Whitman, qui tient aujourd’hui les lieux, poursuit son oeuvre. De jeunes auteurs, surnommés « Tumbleweeds », habitent dans la librairie moyennant quelques heures de travail quotidien. On leur demande également de lire un livre par jour et de travailler à leurs écrits. Le site internet de Shakespeare & Company affirme que près de 50 000 personnes ont déjà dormi dans la librairie. Whitman aimait à dire qu’il avait créé une « utopie socialiste déguisée en librairie ». Sylvia Beach, morte en 1962, est enterrée au cimetière de Princeton. George Whitman a fêté ses 96 ans en décembre 2009. Shakespeare & Company reste un lieu clef de rencontre littéraire : il y a des lectures chaque lundi et un festival, accueillant des auteurs célébrés venus du monde entier, tels que Paul Auster, Alain de Boton, Marjane Satrapi, Ian McEwan, Jung Chang et Alistair Horne, a lieu tous les deux ans dans la librairie et dans le jardin public proche. Les deux Shakespeare Company, librairies transformées en centres culturels, ont fortement contribué à l'épanouissement de la littérature et de la culture anglophones à Paris.
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